La résurgence de l’émigration clandestine depuis quelques semaines traduit à la fois une aspiration de la jeunesse à un « ailleurs » idéalisé et sa propre désespérance. Le remords hante beaucoup parmi ceux qui ont tenté cette aventure périlleuse ou leurs parents qui les y ont aidés. Pour d’autres qui ont réussi à atteindre l’« eldorado », c’est le temps de l’introspection.
« Mon fils est venu un jour me dire qu’il avait décidé d’aller en Espagne avec l’un de ses amis en déboursant 400.000 FCfa. J’ai vendu tous mes bijoux et demandé ma part de la tontine pour réunir la somme. Je lui ai tout donné puis il est parti ». Cette confidence de Khady Ndoye est familière dans le récit des aventures tumultueuses dans lesquelles se sont embarqués des milliers de jeunes en quête d’une vie meilleure. Mais pour la dame, le remords l’a vite hantée dès qu’elle en a touché un mot à ses autres enfants moins imprudents et conscients du péril que bravait leur frère. Quel soulagement a-t-elle éprouvé quand le jeune aventurier a appelé la famille pour lui annoncer qu’il était arrivé sain et sauf en Europe, la terre de ses espérances et de ses fantasmes. « Si c’était à refaire, je ne m’y serai jamais engagée », dit, ferme, la dame dont les douloureux souvenirs refluent depuis la recrudescence de l’émigration clandestine au Sénégal et dans plusieurs pays africains.
Ousmane Sy n’a pas connu un meilleur sort. La fin a été douloureuse. Son fils, parti en douce, a péri dans cette odyssée impétueuse. « Quand on nous a appelés, ma femme et moi, pour nous annoncer son décès, j’ai eu un choc. Je l’imaginais dans les eaux, abandonné à lui et à un environnement hostile. Plus rien ne sera comme avant. C’était mon fils aîné et j’avais placé beaucoup d’espoirs en lui. Il devait penser à moi avant de faire une telle bêtise », se désole-t-il, l’esprit tourmenté. « Pourquoi les enfants ne se soucient pas de leurs parents ? Ne savent-ils pas qu’ils sont toujours les premiers à souffrir de leurs erreurs », s’interroge-t-il avec effusion. Son seul regret : n’avoir pas senti le coup et mesuré cette détresse qui a poussé son fils à cet extrême.
Échos macabres
Matar Ndiaye est un émigré qui vit en Espagne depuis 12 ans. Il a eu plus de chance que ses amis qui ont perdu la vie devant lui sans qu’il ne puisse faire quelque chose. « J’étais à bout. C’est pourquoi j’ai pris la décision de défier la mer. J’étais le fils aîné et quand mon père est décédé, ma mère en a tellement souffert qu’elle est tombée malade. Je devais prendre mes responsabilités et trouver un travail digne de ce nom », confie-t-il. Partir était devenu une obsession pour lui. Rien ne le dissuadait, même les échos macabres. « C’était affreux de voir toutes ces femmes dans la pirogue. L’une d’elles m’a dit que son mari l’avait abandonnée avec trois enfants et qu’elle ne pouvait plus les regarder mourir de faim sans faire quelque chose. Elle les a donc laissés avec sa mère sans l’informer du motif de son absence. Les gens mouraient et on les jetait dans la mer. Cette image de mes amis morts ne me quittera jamais. Même si j’ai réussi à arriver en Espagne, ma situation n’est toujours pas régulière. Je parviens quand même à nourrir ma famille au Sénégal. Par contre, je ne conseille personne d’entreprendre cette aventure car les chances d’arriver à bon port sain et sauf sont infimes. Je ne crois pas avoir le courage aujourd’hui de refaire le même trajet car j’ai vécu l’horreur », soutient-il, heureux d’avoir « sauvé sa peau ».
Mor Dème qui a tenté ce périlleux voyage n’est pas allé bien loin. Il mourait d’envie de rejoindre ses cousins en Italie qui y sont allés par la voie légale. Obnubilé par ce rêve, ce père de famille croupissant dans l’oisiveté n’envisageait le mieux-être que par la conquête de cet « ailleurs », eldorado de beaucoup de personnes malgré les récits d’infortune. « Obsédé par ce désir, confie-t-il, j’ai vendu ma moto à 350.000 FCfa pour payer le voyage. Mais arrivés à Mbour, les garde-côtes ont brisé le rêve de tous ceux qui s’étaient entassés dans l’embarcation. Je ne me décourage pas, la prochaine fois sera la bonne. Car je compte bien y aller…par la voie légale cette fois ». Pour Soukèye Diop, la société a une part de responsabilité dans cette situation car une grande pression est exercée sur les jeunes qui s’embarquent dans ces aventures incertaines pour ne plus avoir à subir les remarques désobligeantes ou les traitements dégradants au sein de la cellule familiale.
Sokhna Faty Isseu SAMB (stagiaire)