La République perd de son âme et le PDS n’est plus ce qu’il était…
Sénégalaiseries par Ibou Fall
À l’origine, la rencontre pleine d’émotions fortes de deux civilisations : la France que des sans-culottes embourgeoisés veulent transformer en empire, et nos roitelets locaux, qui festoient quand ils ne guerroient pas…
Il était une fois, la République du Sénégal.
On y a cru, en 1960. En 2024, le doute s’installe. N’a-t-elle pas perdu de son âme depuis tout ce temps ? Les enfants de la République qui l’ont conquise, les uns après les autres, finissent par croire que nous sommes en monarchie.
En 1945, lorsque la France sort de la Seconde Guerre mondiale non sans mal mais, surtout, avec ses tirailleurs sénégalais, particulièrement ceux auxquels des desserts sont généreusement servis, l’heure est à un regard moins hautain sur la négraille. Ça ne fait plus trop le malin, quand il s’agit de parler de mission civilisatrice et de grandeur d’une Nation.
Il aura bien fallu que les Yankees débarquent avec les Anglais pour que l’honneur soit sauf.
Pas vraiment de quoi pavoiser, surtout que la Patrie de Marianne est drôlement éclatée : on y distingue ceux qui collaborent, ceux qui se terrent et, enfin, ceux qui résistent. L’empire est en ruines, il faut alors rebâtir la République, la Quatrième, via la Constituante. Au Sénégal, le citoyen Lamine Guèye, un avocat, est en lice sous les couleurs de la SFIO et cherche un colistier pour la liste des indigènes, les sujets français comme on les appelle.
Ça tombe bien, il y a un jeune agrégé de grammaire qui passe par là, Léopold Sédar Senghor qu’il se nomme, un Sérère du Sine, de retour au Sénégal afin de poursuivre ses recherches sur la poésie sérère ou quelque autre lubie du genre. Pour rédiger une nouvelle Constitution, quoi de mieux qu’un grammairien ? Lui au moins, ne laissera pas passer les coquilles… Et puis, même s’il sait se tenir, il ne paie pas de mine, a un drôle d’accent de terroir sérère, est plutôt court sur pattes.
Pas de quoi faire de l’ombre au célébrissime Maître Lamine Coura Guèye, que les Quatre Communes adulent, en dépit des raclées électorales qu’il prend régulièrement jusque-là.
La victoire du tandem est éclatante : ils vont représenter le Sénégal à l’Assemblée française.
Leurs mamours sont de courte durée. Lamine Guèye regarde Léopold Sédar Senghor de haut. Ses avis sont classés sans suite. Le citadin toise le broussard… Leurs positions ne s’accordent plus. C’est lors de la grève des cheminots de 1947 que leurs chemins se séparent vraiment : pendant que le député du peuple Senghor se range résolument du côté des cheminots, l’aristocrate Lamine Guèye, alors président du Grand Conseil de l’AOF se montre plutôt conciliant avec l’administration coloniale…
Sa démission de la SFIO, suivie de la création du Bloc démocratique sénégalais en 1948 est le défi que lance, outre Senghor à Lamine Guèye, le Sénégalais des campagnes au Sénégalais de la ville. Le rural face au citadin, le laissé-pour-compte qui affronte le privilégié.
La débâcle des troupes de Lamine Guèye face à celles de Senghor est peut-être l’acte fondateur de la République, ce qui lui donne une âme. C’est le mérite qui triomphe, devant le privilège. Le citoyen parti du fond des terres qui arrive au sommet de la pyramide sociale à force d’abnégation, de travail.
C’est ce Sénégal-là qui obtient son indépendance, et ce type de Sénégalais qui arrive aux commandes de nos destinées. Mais, hélas, le train Sénégal va vite dérailler. Ceux qui prennent la place du Blanc n’en veulent que le prestige et les privilèges. Au bout d’une vingtaine d’années, c’est au spectacle agaçant d’une caste de favoris que l’on assiste : ils se vautrent dans le luxe en oubliant ce que la République exige d’eux, faisant du bien public un patrimoine de classe.
Si ça ne tient qu’à leur égocentrisme, leurs heures de gloire seraient éternelles. D’ailleurs, ils sont prêts à voter une loi qui ferait de Senghor un président à vie. Ça se fait ailleurs. Il y en a même un qui devient empereur chez lui. D’autres, sur le continent, oublient d’organiser des élections et personne ne le leur rappelle. Ce type d’impertinence conduit en prison sous les tropiques, quand il ne vous coûte pas la vie.
Beaucoup, dans cette meute de courtisans, ne comprennent pas pourquoi, en haut lieu, ça autorise même la naissance des partis d’opposition, du genre PDS ou des journaux iconoclastes comme Le Politicien.
On ne peut pas être poète, agrégé de grammaire, philosophe, mais surtout, habité par un viscéral savoir-vivre et perdre son bon sens.
Senghor choisit de ne pas finir en monarque, pour le plus grand malheur de la baronnie qui a du mal à s’incliner bien bas devant celui que la République désigne pour présider à nos destinées.
Ce n’est pas un héritier mais un successeur.
Abdou Diouf est là parce qu’il mérite de la République. Il choisit de la servir avant même que l’on obtienne l’indépendance. Et il ne fera que cela, toute sa carrière durant. Une à une, il gravit les marches de l’escalier qui le mène au sommet de l’Etat. Gouverneur, SG de ministère, directeur de cabinet, ministre, Premier ministre, président de la République. Une ligne continue durant laquelle il se plie en quatre et rentre le cou, obéit sans hésitation ni murmure, avale les couleuvres des plus grosses les unes que les autres.
Lorsqu’il arrive au pouvoir, il tient à imprimer à son style la marque républicaine. Il ne le dit pas haut et fort, mais il trouve depuis longtemps à Senghor des allures de roitelet des tropiques fantaisiste, qui privilégie ses lubies d’artiste plutôt que de parer au plus pressé, l’économie. Et, il y a des comptes à régler avec la baronnie senghorienne qui s’est enrichie indûment, de manière illicite. Ils doivent rendre gorge.
Pour marquer sa différence, il dépouille le fief de l’opposition : l’Université, où les intellectuels de salon résistent mollement à Senghor depuis toujours. Ils lui préfèrent, par coquetterie, Cheikh Anta Diop. Ça tombe bien : ces braves gens commencent à crever la dalle tandis que des fonctionnaires s’engraissent bizarrement… Ils vont rappliquer ventre à terre, pour remplacer les barons de ce parti de masse et surtout d’incultes, le PS, pour faire office d’éminences grises, « d’intellectuels organiques », comme on dit à l’époque…
Ces rescapés de la galère deviendront vite des vicomtes et des ducs du régime socialiste à côté de la baronnie traditionnelle indéracinable, tandis que le président Diouf, avec le temps, s’offre des allures de monarque dont la cour s’en met plein les poches, prend ses aises dans les quartiers chics et se considère comme le clan des privilégiés de droit divin dont les enfants devraient commander les enfants des autres, comprenez la négraille.
C’est le 19 mars 2000 que les Sénégalais leur rappellent froidement que nous sommes encore et toujours, malgré tout, en République.
Lorsque Wade arrive au pouvoir, le PDS n’est déjà plus ce qu’il était… Ce n’est plus ce cénacle qui face au PS de Senghor, compte des gens de la classe de Fara Ndiaye ou Madame Yatta Thiam ; on n’entend plus ses députés, du genre Mamadou Fall « Puritain » qui, devant le ministre de l’Intérieur, dénonce au nom de la République, la mode alors naissante des chants religieux, en fustigeant « ceux qui se mettent à piailler en pleine nuit pendant que les gens dorment ! ». Il n’y a plus dans ses rangs, des jeunes de l’envergure d’un Serigne Diop, respectable doctorant en droit qui ose poser le débat de l’orientation idéologique du PDS, n’hésitant pas à qualifier le patron de déviationniste et exiger son exclusion.
C’est de la racaille qui occupe les premières places. Certes, le pape du Sopi n’est pas un miséreux : il crèche à Versailles, comme Louis XIV avant lui, et au Point E où, à ses heures perdues, il cogite sur l’avenir de l’Afrique depuis le bord de sa piscine. Dans le garage, sa Mercedes bleu pétrole décapotable est du dernier cri. Déjà, en 1988, le discours guerrier qu’incarne Boubacar Sall, renvoie à l’anarchie. Mieux, des voitures explosent même alors que la bande à Wade croupit en prison pour avoir annoncé sa victoire aux élections sans la permission du… Conseil constitutionnel.
À sa suite, il y a encore quelques identités remarquables qui se comptent sur les doigts d’une main. Pour ne pas faire de jaloux, on ne citera personne. Mais ça se dégarnit considérablement dans les rangs des cadres dignes de ce nom. Beaucoup n’en peuvent plus d’attendre et passent avec armes et bagages du côté de l’adversaire.
En 1993, le PDS s’enfonce davantage dans la voie de la violence. Quand survient l’attentat qui coûte la vie à Maître Babacar Sèye, le Rubicon est franchi et le sort en est jeté. Son alliance avec les Moustarchidines sent le soufre. Le 16 février 1994, c’est le drame : Dakar est mise à feu et à sang et six policiers périssent dans les flammes.
C’est à cet instant-là que la République commence à perdre vraiment de son âme pour n’avoir pas rendu justice à un de ses serviteurs tué dans l’exercice de ses fonctions. Et que le PDS change de philosophie. Ce n’est plus de libéralisme qu’il s’agit mais d’anarchie.
Le 19 mars 2000, ce sont des anarchistes qui arrivent au pouvoir. Il y a de tout dans le cortège hétéroclite des vainqueurs : des socialistes contrariés, des marxistes réformés, des maoïstes ramollis, des intégristes énervés et des libéraux fauchés.
Le régime d’Abdou Diouf finit alors de saccager l’école et dynamiter la démocratie qui n’est plus qu’un théâtre désarticulé dont les comédiens n’apprennent pas leurs rôles avant de monter sur scène.
Le régime de Wade en rajoute une couche en vandalisant l’Etat. En plus de la vague des ministres-conseillers qui envahissent les médias pour tuer le temps, on enregistre la mode des contrats spéciaux qui parachutent des privés au beau milieu de la Fonction publique, la forêt d’agences nationales pour tout et n’importe quoi qui poussent comme des champignons vénéneux, tandis que les calots bleus deviennent des officiers de Gendarmerie et qu’arrive la vague des nouveaux riches que les marchés de l’Etat rendent complètement lunatiques…
Le clan Wade ne met pas longtemps avant de se croire en monarchie. Dans les rangs des courtisans, ça valse drôlement entre les nominations burlesques et les limogeages tragiques. On comptera dans le lot un élément hors du commun, en plus de quelques ploucs mal mouchés et un troupeau de mauvais coucheurs.
Après le coup de semonce du 23 juin 2011, qui rappelle au régime conspué que la République ne peut pas tout permettre, ce sont les élections de 2012 qui ramèneront les Wade sur terre.
Lorsque Macky Sall nous promet une gestion « sobre et vertueuse » et nous vend de la modestie en guise de serment républicain, on est presque tenté d’y croire. Sauf que rien ne change, et les rangs de ses courtisans grandissent à vue d’œil. Il garde autour de lui, non pas ceux qui l’accompagnent durant sa très courte traversée du désert, mais les plus habiles thuriféraires, ceux qui savent vendre du sable dans le désert et s’acharnent à le persuader qu’il est la projection de Dieu sur terre. Ben, ils ne sont pas loin de le convaincre qu’après tout, un troisième mandat ne le tuerait sans doute pas, par exemple, en reportant les élections.
C’est bien pour cela que la République continue de perdre de son âme. Sans doute aussi parce que le PDS n’est plus ce qu’il était.