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50 ans après, les massacres de 1972 continuent de meurtrir le Burundi

Elle a aujourd’hui 60 ans. Mais Laetitia Ngendakumana pleure encore comme la fillette de 10 ans qu’elle était en 1972, lorsque son père a disparu dans les massacres ethniques qui ont embrasé le Burundi, récemment qualifiés de génocide par une commission gouvernementale.

Comme pour beaucoup d’autres entre le 29 avril et la fin juin 1972, il y a 50 ans, le monde de cette famille hutu s’est écroulé avec l’arrestation par le pouvoir tutsi du patriarche, haut cadre dans une banque de Bujumbura, la plus grande ville du pays.

« On n’a jamais su où on avait emmené papa. Ce que je sais c’est (qu’ensuite) on nous a pillé tout ce qu’on avait », raconte en se triturant les mains Laetitia, dans la maison entourée de bananiers où elle vit désormais près de Gitega, la capitale politique.

Ni son mariage avec un enseignant de cette région, ni la naissance de leurs 14 enfants – 12 ont survécu -, ni la fin des massacres et la stabilisation relative dans ce pays troublé des Grands Lacs n’ont effacé sa douleur.

Longtemps, 1972, surnommée dans les foyers l’ »ikiza » (le fléau en langue nationale kirundi), est restée un tabou dans la sphère publique.

Quand en 2019, la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) mise en place par les autorités a annoncé rouvrir des fosses communes pour compter et tenter d’identifier les victimes, Laetitia en a immédiatement contacté les responsables.

Identifier des restes humains vieux de cinq décennies relève du miracle, mais l’agricultrice s’accrochait à un espoir: des prothèses dentaires.

« Mon père avait eu un accident (de voiture) et perdu ses dents. Il portait des prothèses en or. Je leur avais demandé qu’ils m’informent s’ils les découvraient », poursuit-elle. « Ils m’ont appelée ».

Cruelle ironie, les restes de son père se trouvaient à quelques kilomètres de chez elle, sur une autre colline boisée des environs de Gitega.

« L’Etat a tué »
Les événements de 1972 démarrent le 29 avril par des massacres perpétrés par des extrémistes hutu contre les Tutsi, notamment dans le sud du pays.

La répression se mue rapidement en massacres systématiques de l’élite hutu – cadres, enseignants mais aussi collégiens – faisant 100.000 à 300.000 morts selon les estimations.

Les Hutu représentent 85% de la population, contre 14% pour les Tutsi.

Les tueries ont touché tout le Burundi, mais Gitega en fut l’épicentre: s’y trouvait un camp militaire, où les victimes arrêtées à travers le pays transitaient, avant d’être tuées.

Dans cette région, la CVR a creusé neuf fosses communes, exhumant les restes d’environ 7.000 victimes. Des piles de crânes, d’os et des sacs de vêtements en lambeaux aujourd’hui entreposés dans la petite pièce sombre d’un bâtiment public en l’attente d’un mémorial.

Pour identifier les fosses de 1972 dans un pays meurtri par de nombreux massacres entre Hutu et Tutsi puis par une guerre civile (1993-2006) la CVR s’est appuyée sur les souvenirs, ou les découvertes macabres, des habitants.

« Quand nous disons 7.000 victimes c’est uniquement par rapport aux fosses qu’on a déjà trouvées, confirmées, exhumées », souligne le président de la CVR Pierre-Claver Ndayicariye, pour qui de nombreuses fosses restent inconnues.

Après trois ans d’enquêtes, la CVR a publié en décembre dernier un rapport d’étape qualifiant ces massacres de génocide et de crimes contre l’humanité.

« En 1972, l’Etat a tué ses populations », martèle Pierre-Claver Ndayicariye.

« Il s’agit d’un génocide parce que l’Etat a planifié, a organisé, a mis à exécution ce génocide », poursuit-il sur un ton solennel, insistant sur la responsabilité du président tutsi d’alors, Michel Micombero.

« Agenda politique »
Mais la qualification de génocide ne fait pas l’unanimité au Burundi, où le sujet est très sensible et où certains dénoncent une instrumentalisation par le régime, désormais hutu, de la CVR, composée presque exclusivement de cadres du parti au pouvoir.

Durant ses enquêtes, la CVR a été accusée de partialité pour avoir concentré ses recherches sur les sites où des Hutu étaient enterrés, et ignoré ceux où se trouvaient des victimes tutsi.

« Il y a quand même un problème d’agenda politique dans cette histoire », estime l’historien Evariste Ngayimpenda, déplorant la volonté de « légitimation ethnique » des régimes burundais successifs.

« Du temps où les Tutsi étaient au pouvoir (…) l’évitement du péril hutu était une thématique constante et aujourd’hui, c’est l’inverse, c’est l’évitement du péril tutsi, qui est aussi une thématique constante ».

Selon le recteur de l’université du Lac Tanganyika, à Bujumbura, le travail de la CVR a également « pêché par déficit méthodologique » – il questionne notamment la datation des fosses – et par l’absence de recours à l’expertise internationale, notamment de l’ONU.

Près de Gitega, Laetitia et son mari, Emmanuel Berakumenyo, espèrent que ce 50e anniversaire, pour lequel l’Etat n’a pas annoncé de commémorations officielles, soit l’occasion de cicatriser un passé douloureux.

« Ce sont des conflits qui pourront peut-être se terminer petit à petit, mais il faut que l’administration prête main forte », estime l’ancien enseignant, rescapé des massacres.

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