Arrestation de Pape Ale Niang : la CAP rétablit «la vérité des faits»
La Coordination des Associations de Presse (CAP) rétablit «la vérité des faits» dans l’affaire de l’arrestation du journaliste Pape Alé Niang. A l’issue d’une rencontre, le samedi 12 novembre 2022, à la Maison de la presse Babacar Touré, avec le pool des avocats de Pape Alé Niang, dont la teneur est rendue publique, en large d’une réunion avec les directeurs de publication et autres responsables d’organes de presse, hier mardi, la CAP dénonce un «acharnement» et une détention «politique» du journaliste dans le viseur des autorités depuis plusieurs mois déjà.
«Pape Alé Niang n’a pas été entendu ni à la Police (en présence de ses avocats) ni devant le juge d’instruction sur le rapport interne de la Gendarmerie.» C’est la Coordination des Associations de Presse (CAP) qui restitue ainsi «la vérité des faits» dans l’affaire Pape Alé Niang (PAN). Alors qu’on a fait croire à l’opinion que le journaliste a été interpellé pour divulgation d’un «secret défense», le CAP révèle que notre confrère n’a pas été entendu sur le rapport interne de la Gendarmerie.
En effet, en marge de sa réunion avec les directeurs de publication et responsables des organes de presse hier, mardi 15 novembre 2022, la CAP a rendu public le compte rendu de sa rencontre, le samedi 12 novembre 2022, à la Maison de la presse Babacar Touré, avec le pool des avocats de Pape Alé Niang notamment Me Demba Ciré Bathily, Me Bamba Cissé, Me Ciré Clédor Ly et Me Moussa Sarr.
PAS D’AUDITION SUR LE RAPPORT INTERNE DE LA GENDARMERIE
Selon la source, «cette rencontre avec les avocats a permis d’établir les faits suivants : Le journaliste Pape Alé Niang, directeur de publication du site d’informations Dakar Matin, a été arrêté le dimanche 06 novembre 2022. Il est incarcéré à la prison de Sébikhotane. Les chefs d’inculpation suivants ont été retenus contre lui : La diffusion d’informations militaires, le recel de documents administratifs et militaires et la diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques».
Mais à l’arrivée, «Pas d’audition sur le rapport interne de la Gendarmerie». En clair, «Pape Alé Niang n’a pas été entendu ni à la Police (en présence de ses avocats) ni devant le juge d’instruction sur le rapport interne de la Gendarmerie. Sur le plan factuel, il a été entendu à la Police une première fois devant ses avocats. Lors de la deuxième audition devant le juge, il a estimé ne pas devoir répondre considérant avoir déjà dit l’essentiel.
Aussi, en l’état, les poursuites du Parquet ne visent pas ce rapport», lit-on dans le document parvenu à notre Rédaction.
LES TROIS CHEFS D’INCULPATION ET LA STRATEGIE DES AVOCATS POUR UNE LIBERTE PROVISOIRE
Au total, trois chefs d’inculpation ont été retenus contre lui et quatre articles visés. «Les poursuites portent sur des messages radio de la Police et des Sapeurs-pompiers, sur des vidéos live que Pape Alé Niang a eu à faire sur la mort de François Mancabou, mort en détention, et sur le général Moussa Fall, Haut commandant de la Gendarmerie nationale. Ainsi trois infractions ont été retenues et quatre articles ont été visés : il s’agit des articles 64, 370, 255, 430 (430 et 370 sont liés)».
Et le texte de relever que «Le pool d’avocats chargé de la défense de Pape Alé Niang va demander une audition au fond, dès cette semaine, se battre pour obtenir la levée de certaines charges, et initier d’autres procédures d’annulation de la procédure. Ils sont en attente d’une programmation du juge d’instruction (JDI) qui n’est plus maître du dossier. En réalité le juge d’instruction avait la possibilité de mettre Pape Alé sous contrôle judiciaire dès la première. Mais avec l’article 139 du Code de procédure pénale, le JDI perd la main. Il est tenu de placer sous mandat de dépôt. Il n’avait pas la latitude d’apprécier la pertinence du dossier ou les motivations du Procureur».
LES ELEMENTS D’UN ACHARNEMENT : «L’ARRETER D’ABORD, ENSUITE CHERCHER DES MOTIFS D’INCULPATION»
La CAP reste convaincu que «L’arrestation de Pape Alé Niang prouve un acharnement. En atteste la fragilité du dossier sur le plan purement judiciaire. Cette arrestation est le résultat d’une traque de longue date car Pape Alé Niang était sur la ligne de mire du pouvoir depuis plusieurs mois. Pour preuve, certains faits sur lesquels il a été entendu et placé sous mandat de dépôt remontent au mois d’avril 2022. Des choses qui n’ont rien à voir avec la défense nationale», souligne le texte.
Ce qui est désolant, à en croire la CAP, «La vérité est qu’il fallait l’arrêter d’abord, ensuite chercher des motifs d’inculpation. Ainsi, dès les premières heures de la garde à vue, c’est l’article 64 qui lui a été notifié pour avoir porté à la connaissance du public une information militaire sans autorisation et qui est de nature à nuire la défense nationale. Le même jour, après minuit, contrairement à ce qui a été retenu au début contre lui, d’autres chefs d’inculpation lui ont été notifiés. L’article 80 a disparu pour céder la place à l’article 430 afin d’introduire le recel de document volé estampillé «confidentiel» : c’est-à-dire le message de la police et le communiqué de la Brigade des Sapeurs-pompiers».
Pis, dénonce la même source, «On veut faire croire aux Sénégalais que PAN a été arrêté pour avoir divulgué des secrets militaires mais, c’est faire dans l’amalgame. En effet, quand on parle de secret militaire au sens propre du terme, c’est la Gendarmerie et l’Armée car la Police est un corps paramilitaire. Donc quand on parle de secret militaire ou défense, cela concerne la Gendarmerie et l’Armée. Les accusations faites à PAN portent moins sur le message des Sapeurs-pompiers que le message radio du Commandant du Groupement mobile d’intervention la Police (GMI) que PAN a interprété après avoir obtenu le document sur les réseaux sociaux».
PAN, UN DETENU POLITIQUE
Dans le document, le journaliste est considéré comme un détenu politique. «Le dossier juridique est juste un prétexte. Pape Alé Niang est un détenu politique vu les articles visés 64 et 80. Des infractions et des implications politiques qui en font un détenu politique», précise-t-on. Avant de noter que : «- PAN n’a pas diffusé ce message, mais en tant que professionnel, il s’en est approprié pour faire une analyse et donner son point de vue. Son fondement légal, c’est le devoir d’informer. – La Brigade de Cybercriminalité a les moyens de savoir qui a publié en premier, un document sur les réseaux sociaux. – Concernant ces types de messages de la Brigade des Sapeurs-pompiers, ils sont toujours placardés dans les casernes, donc à la portée du public. – Le juge d’instruction est à la merci du Parquet et se retrouve ligoté par les dispositions de l’article 139 du Code de procédure pénale tout comme les avocats. – Le Parquet dans notre système est le représentant du Garde des Sceaux qui est soumis au Président de la République».
DES INFRACTIONS POLITIQUES OU UNE SURVIVANCE DE REGIME AUTORITAIRE SOUS LES PRESIDENTS ET DIOUF WADE, A LA MERCI DE MACKY
La note parvenue à la presse montre que le journaliste est visé par des infractions politiques. «Même si le Code pénal sénégalais n’identifie pas en tant que telle des infractions politiques, les trois infractions opposées à Pale Alé Niang sont de la catégorie des infractions politiques. En effet, certains articles du Code pénal, par leur histoire, sont des infractions politiques par destination. Comme la loi anti casseur (article 80), des articles qui ont été mis en place suite à des évènements politiques précis entre les années 1962 et 80».
D’ailleurs, «Ce sont des infractions pour lesquelles l’Etat met la pression sur ceux qui le contrarient et visent le plus souvent les opposants, les activistes, pour des «manœuvres pouvant jeter le discrédit sur des institutions, offense au chef de l’Etat, actes de nature à troubler l’ordre public, ou diffusion de fausses nouvelles». C’est une survivance de régime autoritaire sous le Président Abdou Diouf. Sous le Président Abdoulaye Wade, c’est l’article 252 qui était le favori et le régime actuel du Président Macky Sall, combine les deux».
LES HERESIES DU DOSSIER, L’ELOIGNEMENT DU DETENU ET L’ENTRAVE A LA DEFENSE
Le paradoxe, c’est que «Le dossier Pape Alé Niang vise des infractions inconciliables et incompatibles : Soit les informations sont avérées, donc il n’y a pas de diffusion de fausses nouvelles, soit les documents sont faux alors il n’y a pas d’informations portant sur un secret-défense. Cela crève l’acharnement: il fallait coûte que coûte tenir PAN et le faire taire».
L’autre tournure regrettable de ce dossier, c’est l’atteinte à la défense du journaliste. «En l’incarcérant à Sébikhotane, les autorités placent Pape Alé Niang à des kilomètres du juge d’instruction. Ce qui signifie que le magistrat instructeur n’est pas prêt pour l’entendre dans le fond. Cet éloignement peut être vécu comme un traumatisme car le détenu, s’il le pouvait, communiquerait tous les jours avec son avocat pour préparer et organiser sa défense. Ce qui n’est pas possible avec cet éloignement. Et l’impossibilité de pouvoir communiquer tous les jours avec les avocats porte atteinte aux droits de la défense. C’est une entrave à un principe général du droit», constate-t-on.
MENACES SUR LA PROFESSION DE JOURNALISTE ET LE DROIT A L’INFORMATION EN JEU
Et la source d’ajouter que «Des personnes ont traqué et arrêté Pape Alé Niang pour le faire taire. En réalité, c’est moins les infractions visées qu’une somme de subjectivités qui font le soubassement de ce dossier. Et ce acharnement est une menace réelle pour la profession de journaliste car ce sont les intérêts supérieurs de la profession qui sont en jeu. En visant les fausses nouvelles, ce sont tous les journalistes qui sont en ligne de mire. C’est le droit à l’information qui est en jeu, pour un journalisme libre et respectable».
I.DIALLO