« Honneur, Dignité et loyauté : des valeurs rares dans la vie politique sénégalaise » (Par Balla Khouma)
La politique sénégalaise est marquée par un phénomène préoccupant connu sous le nom de « transhumance politique ». Ce terme désigne le déplacement opportuniste de certains politiciens d’un parti à un autre ou d’une coalition à une autre, souvent motivé par la quête de pouvoir ou de bénéfices personnels, sans égard pour les principes de loyauté, de dignité et d’intégrité.
A chaque changement de gouvernement ou à l’approche des élections, une vague de transfuges émerge, trahissant les idéaux pour lesquels ils ont été initialement élus ou précédemment nommés. Le pouvoir en place ouvre alors un véritable mercato pour recruter des leaders politiques dans les zones où il ne règne pas, acceptant tout candidat sans enquête de moralité, dans un objectif unique : gagner les élections.
Cette situation soulève des questions fondamentales sur l’éthique, l’intégrité et la loyauté au sein de la classe politique sénégalaise. Les sources de ce problème sont profondes.
Une absence de valeurs solidement ancrées dans la pratique politique conduit de nombreux hommes politiques à se préoccuper davantage de leur ascension personnelle que de l’intérêt public. Cette quête de pouvoir s’accompagne souvent d’un désengagement envers les citoyens. Le système politique lui-même favorise cette instabilité ; les partis politiques sont perçus comme des véhicules d’accès au pouvoir voire des moyens d’ascension sociale, plutôt que comme des plateformes pour promouvoir des principes, des idées et des valeurs. De plus, la pression des intérêts économiques joue un rôle central dans cette dynamique, où corruption et influence externe peuvent détourner les politiciens de leurs idéaux.
Ce qui est encore plus marquant, c’est de voir le nouveau gouvernement accueillir à bras ouverts, voire démarcher, des transhumants. Pendant des années, en tant qu’opposition, les actuels gouvernants ont dénoncé avec ferveur la transhumance politique, critiquant ouvertement les comportements opportunistes de leurs prédécesseurs qui avaient abandonné leurs engagements et leurs valeurs.
Cette duplicité soulève des interrogations : comment un gouvernement qui a fustigé la transhumance peut-il désormais intégrer ceux qu’il qualifiait auparavant de traîtres à leurs idéaux ?
L’acceptation de ces transhumants en vue des prochaines élections législatives témoigne d’un opportunisme politique qui peut nuire à la crédibilité du gouvernement. Ce comportement pourrait, à terme, saper la confiance des citoyens dans leurs institutions. Les électeurs, notamment les militants espérant une rupture systémique, peuvent se sentir trahis par des dirigeants qui semblent privilégier une continuité pour des gains électoraux. Comme le disaient d’ailleurs les rappeurs de Keur-Gui, ce sont « les mêmes …, les mêmes …, les mêmes va-et-vient, les mêmes cas, les mêmes faits,… Même cinéma, même schéma, même promesse électorale, etc.»
Pour endiguer ce phénomène et restaurer la dignité en politique, il est essentiel que la société civile se mobilise pour promouvoir l’éducation civique et la citoyenneté. Cela permettra d’éveiller les consciences et d’encourager les citoyens à s’impliquer activement dans le processus politique. Nous saluons ainsi la mise en place de la plateforme « Devoirs, Démocratie et Liberté (2DL) » et encourageons la création d’autres espaces de ce type où les citoyens peuvent exprimer leurs préoccupations politiques, sociales et économiques et défendre patriotiquement leur république et son héritage.
Balla KHOUMA
Docteur en Sciences Economiques