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Ibou Fall: Un Monsieur Modeste, cinquième génération, au Palais.

Sénégalaiseries

Par Ibou Fall

 

 

Un Monsieur Modeste, cinquième génération, au Palais.

 

Le 03 avril 2024, ce président Bassirou Diomaye Faye qui jaillit de derrière les tentures du Palais pour se diriger résolument vers le pupitre où l’attendent respectueusement un micro et dix-huit millions de Sénégalais, est presque méconnaissable.

Le costume sombre sur une chemise blanche à col italien que coupe une cravate Bordeaux, ça en jette. Il a le ton assuré et la langue qui ne fourche pas quand il dit son texte, sans chercher ses mots, pour parler d’avenir à ses compatriotes.

Rien à voir avec celui que l’on découvre au lendemain de son élection, le jour de son quarante-quatrième anniversaire, le 25 mars 2024.

Lorsque, fraîchement élu, Bassirou Diomaye Diakhar Faye fait irruption depuis les couloirs de l’hôtel où il vit replié après son plébiscite, pour prononcer son premier speech à l’intention des Sénégalais, dans les rangs des Patriotes, ça grince des dents, tandis que les anciens tenants du pouvoir ricanent jaune… On trouve le costume bleu pétrole trop banal pour être présidentiel, la chemise au col français désuet manque de panache, le verbe est hésitant et le regard comme fuyant.

Ce 02 avril 2024, après sa prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, la Nation et Dieu, le tout nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, regagne enfin ses présidentiels pénates.

Le président sortant Macky Sall l’y attend pour lui remettre les clés de la cabane au bord de la mer qui fait face à Gorée.

Le nouvel impétrant n’est pas en terrain inconnu : déjà, la semaine précédente, le jeudi 28 mars 2024, il fait le tour du propriétaire en compagnie de son inséparable grand frère, le PROS, comprenez le président de la République (putatif) Ousmane Sonko, le maître de céans sur le départ, Macky Sall, leur servant de guide.

Rien que de la haute société…

Et puis, arrivent les choses sérieuses : les deux présidents, l’ancien et le nouveau, s’enferment pour discuter de secrets d’Etat en tête-à-tête.

Le PROS est prié d’attendre dehors.

Quelques instants auparavant, à leur arrivée au Palais dans la BWN noire, à l’accueil, le protocole et la sécurité font signe au PROS d’attendre que le président Diomaye Faye passe devant…

Ce sont des petits riens comme ça qui vous ouvrent les yeux : Bassirou Diomaye Faye, Monsieur Humble, c’est déjà du passé. Il est devenu impossible de lui voler la vedette, de parler à sa place… Comme lorsque fraîchement sortis de prison, lui et son PROS, font face à la presse. On en oublie que c’est lui le candidat. Pour lui donner de la contenance, la formule est toute trouvée à l’intention des électeurs qui en douteraient : Diomaye, c’est Sonko…

La forêt des micros et caméras de la presse se tournent dorénavant vers lui tandis que les flashes crépitent à sa gloire.

Jusque-là, surtout ces trois dernières années mouvementées, quand ce Monsieur Humble, dont le bagout n’est pas la qualité première, va au charbon sur un plateau de télévision, c’est pour défendre son PROS. Désormais, il faudra qu’autour de lui, tous se dévouent pour le porter aux nues, le PROS y compris…

Dans les rangs des inconditionnels du président du PASTEF (rétabli in extrémis par Macky Sall), l’on épiloguera longtemps sur le « génie politique » du PROS, son sens du sacrifice et son abnégation à toute épreuve pour faire élire son bras droit.

Chacun se console comme il peut…

Le maître du jeu, désormais, c’est le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, qui s’installe au Palais de l’avenue Léopold Sédar Senghor, après avoir prêté serment et prononcé son discours à l’occasion duquel il prend le soin de remercier « (sa) famille et le peuple sénégalais ».

Pour quelle raison ne juge-t-il pas indispensable d’associer son président de… parti à cet hommage ? Mystère et boule de gomme.

Bien au contraire, ce même 02 avril au soir, c’est un tout autre Ousmane Sonko que l’on découvre, alors que le président Bassirou Diomaye Faye vient de le nommer Premier ministre. Ce n’est plus le PROS, mais le PMOS, comprenez le Premier ministre Ousmane Sonko qui se tient au pied de l’escalier menant au bureau présidentiel. Le leader du PASTEF a le verbe hésitant ; il cherche ses mots alors que sa langue fourche et il s’oblige à remercier, deux fois en trois minutes, pour l’immense honneur qu’il lui fait, le président de la République Bassirou Diomaye Faye, le nouveau maître du pays.

Il faut le voir pour y croire…

En cette tumultueuse année 2024, pour la cinquième fois, les Sénégalais font le choix de la modestie, sacrent l’humilité. Sauf que toutes les modesties ne se ressemblent pas, toutes les humilités ne racontent pas la même histoire.

On rembobine ?

Léopold Sédar Senghor, face à Lamine Guèye, c’est l’indigène face au citoyen français. Le « député kaki » passe son temps en brousse, chahute avec ses cousins à plaisanteries toucouleurs ou diolas, se préoccupe du prix de l’arachide qu’il défend tous les ans au Palais Bourbon pour le faire revoir à la hausse. Quand les cheminots entrent en grève, il est de leur côté ; ça leur collecte des fonds, leur fournit des avocats ; il aime les arts et les artistes iconoclastes, se passionne de culture, dédaigne l’argent au point de renoncer à l’héritage paternel.

Sauf que la modestie senghorienne est aristocratique.

Le premier président sénégalais se lève pour vous saluer et vous raccompagne quand vous repartez. C’est un seigneur qui éclabousse son époque de sa classe, certes, mais demeure humble parmi les gens de peu ; il ne connaît pas l’ostentation, a des pudeurs avec l’argent et freine les flagorneurs, quand bien même il tient à la majesté de la République.

Le fils de Gnilane Bakhoum mais surtout du feudataire Diogoye Basile Senghor est un fin lettré qui nous fait l’insigne honneur d’être des nôtres. L’agrégé de grammaire, poète mondialement reconnu, est marié à une « Négresse blonde » qui ne se mêlera jamais que de ce qui la regarde.

Le poète président aurait pu vivre en Normandie toute sa vie et laisser les Nègres à leur sénégalaiseries.

Non, il partage nos misères, fait preuve de pédagogie, alternant la carotte et le bâton, s’épuise à nous civiliser pour que nous soyons présents au Banquet de l’Universel, quand Dakar serait, comme Paris, une plaque tournante du bon goût, de la culture et surtout de la civilisation noire.

Son devoir accompli, Sédar Gnilane entre à l’Académie française, où il finit sa vie entre gens de commerce agréable, auxquels il fait admettre « essencerie » et autres néologismes nés sous les tropiques.

L’enfant de Djilor insistera quand même pour se faire enterrer à Dakar, juste à côté de son regretté Philippe Maguilène.

Les Sénégalais, le président Wade en tête, lors de ses funérailles en décembre 2001, mettent les petits plats dans les grands et prennent la mouche parce que la France ne daigne pas lui rendre les honneurs qui lui sont dus.

Le Jour de l’An 1981, l’ancien Premier ministre Abdou Diouf qui prête serment est aussi un Monsieur Modeste. Ce Ndiambour-Ndiambour rase les murs une décennie durant, sans marcher sur les pieds de personne. Ce n’est pas vraiment un chef. Fils d’un employé des Postes accro au jeu de dames et d’une femme au foyer, c’est le fonctionnaire consciencieux qui affiche la mine du collaborateur irréprochable. Quand il est en présence du président Senghor, ça évite de se tenir à côté de lui, histoire de ne pas rendre ridicule la taille présidentielle. La politique, Abdou Diouf y entre à reculons, parce que le Président insiste et le cornaque.

Lui, il sort major de sa promotion, dit-on, de l’ENFOM, où il apprend surtout à mater du Nègre. C’est sa vocation.

Casser de l’indigène émancipé, Senghor ne lui en demande pas tant comme Premier ministre. Cette tâche ingrate relève du ministre de l’Intérieur, Jean Collin, sous la tutelle duquel le timide Premier ministre se réfugie. Abdou Diouf lui obéit au doigt et à l’œil : c’est son aîné de l’ENFOM… Dans l’opinion, les pontes du régime socialiste sont connus : Amadou Cissé Dia, Alioune Badara Mbengue, Magatte Lô, Mady Cissokho, Karim Gaye, Assane Seck, Adrien Senghor et, surtout, Babacar Bâ, le maître du Bassin arachidier.

Le buzz, comme disent les jeunes actuels, ce sont eux…

Lorsqu’Abdou Diouf arrive au Palais, personne ne sait vraiment rien de lui. On découvre tout juste les visages de son épouse et de sa sympathique smala. Jusque-là, on ne leur connaît aucune extravagance. Le seul secret qui fuite, c’est sa longue amitié avec Habib Thiam, quand il le nomme Premier ministre, alors que Senghor lui conseille Moustapha Niasse. Chacun des deux amis est le parrain d’un fils de l’autre.

Mieux, la légende veut qu’Abdou Diouf doive la vie sauve à Habib Thiam qui le contraint à prendre le bateau pour rentrer au Sénégal ; il lui évite de prendre l’avion qui s’écrase avec David Diop et son frère.

Abdou Diouf, Premier ministre, vit au Petit Palais tout ce temps, aux frais de la princesse ; il n’a aucun bien qu’on lui connaisse, alors que les pontes du régime se partagent la carcasse de l’agneau Sénégal que le colon leur laisse en 1960…

On le dit, vis-à-vis de Senghor, obséquieux, assidu et ponctuel, appliqué ; et de Jean Collin, obéissant.

Abdou Diouf ne sera plus le même homme une fois installé au Palais de l’avenue Roume. Le deuxième président sénégalais devient le père fouettard qui jette régulièrement au cachot son principal opposant, impose le couvre-feu quand la démocratie brûle pour excès de bourrages d’urnes, radie toute la police pour inconduite, vire ces parasites d’artistes de leur école qui a le mauvais goût d’avoir une vue sur l’océan et l’Ile des Madeleines.

Quant aux p’tits Sénégalais, le régime de Diouf réduit à peau de chagrin les gaspillages senghoriens pour leurs instruction et éducation.

Le président Diouf n’a d’ouïe, en ces temps ingrats, que pour les ordres du FMI et de la Banque mondiale, en échange de la garantie que les salaires et les charges de fonctionnement seront payés… Il avalera une à une toutes leurs couleuvres, sans aucune nausée, tandis que le Sénégal devient le cimetière de ses banques et industries.

Bien sûr que c’est la faute à Senghor !

Après l’alternance, l’interminable Abdou Diouf quitte le Palais de Roume pour Paris, où il s’installe confortablement. Des « amis » arabes lui auraient offert ce modeste pied-à-terre au cœur de la capitale française…

Pourquoi souriez-vous ?

Plus veinard, il n’en n’existe pas : comme si ça ne suffisait pas, ses amis de l’Occident lui trouvent un job à la Francophonie pour maintenir le standing, alors qu’il doit prendre sa retraite…

On rembobine.

Le 19 mars 2000, l’électorat sénégalais vote pour son vengeur.

L’heureux élu a la boule à zéro, et vingt-six ans de misères noires au compteur, comme presque tout le monde. Malgré ses deux agrégations, son épouse française (comme Senghor), son palais à Versailles, ses deux métis surdoués, il nous fait l’honneur d’être des nôtres.

En 1993, lors du meeting de clôture, à la présidentielle, boulevard Charles de Gaulle, avant de distribuer la liste de son patrimoine à la presse, le Pape du « Sopi » précise à l’auditoire que s’il n’était pas entré en politique, il serait plus riche que Ndiouga Kébé…

Excusez du peu.

L’alternance, comme on appelle joliment l’arrivée au pouvoir de Wade et sa bande, fait rêver. Les rejetons Wade débarquent et affichent des mines désintéressées : ils sont là pour protéger papa des requins qui l’encerclent. Quant à la daronne, une « Sénégalaise d’ethnie toubabe », elle ne se gêne pas pour mettre les pieds dans le plat de la République : la longue marche vers le « Sopi » lui doit ses plus belles années.

Première victime, Idrissa Seck, qui s’y croit déjà. Tandis que la liste de leurs martyrs dans l’entourage paternel s’allonge au profit de la « Génération du Concret », et que la paranoïa leur multiplie les ennemis avec la bénédiction de la courtisanerie, dans les taudis où sévit une misère crasse, la populace raille « l’alternoce » en riant jaune.

Ça déchante dans les bas-fonds : le clan des Wade se comporte comme une dynastie de droit divin et prend ses aises…

Le 26 mars 2012, le peuple sénégalais qui plébiscite Macky Sall à près de 65 % des voix au deuxième tour, sacre un modeste enfant du Sine que ses racines relient au Fouta. Il est là pour consoler ses compatriotes de la désillusion du « Sopi » dont la mégalomanie devient indigeste : les nouveaux riches de 2000 sont devenus arrogants, se suffisent à eux-mêmes, festoient sans pudeur entre épicuriens insatiables.

Macky Sall est des nôtres : la preuve ? Son épouse, la seule et l’unique, Marième Faye, a le cheveu crêpu, le teint local, et n’hésite pas à esquisser quelques pas de pakargni en bonne Négresse. Une darling kôr, pour plagier Aïda Samb, que ses dévotions ostentatoires à La Mecque, régulièrement, amnistient du péché des petits pas de danses païennes.

Enfin, des Sénégalais très ordinaires s’installent au Palais, nous affichent leur modestie et promettent une « gestion sobre et vertueuse ». Ben, il faudra douze interminables années à la majorité des Sénégalais pour éventer la supercherie.

C’est là tout le sens du sacre de Bassirou Diomaye Faye qui déclare mettre hors d’état de nuire tous ces monstres qui arrosent leur couscous des larmes du prolétariat. Et il sort de prison muni de son balai rien que pour nettoyer tout ça…

Le détail qui tue ? Il n’est pas seul dans sa tête : il a deux femmes.

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