Alors que la fin du pontificat de Jorge Mario Bergoglio se profile, celui-ci aura mené à bien la réforme de la curie romaine et redéployé une Eglise « de terrain ». Mais sur d’autres aspects, et non des moindres, il aura fermé davantage de portes qu’il n’en aura ouvertes.
Quelle Eglise catholique après moi ? Telle est au fond la question implicite posée par le pape François aux 226 cardinaux que compte l’Eglise romaine, conviés à réfléchir ensemble pendant deux jours à Rome, lundi 29 et mardi 30 août. Les membres du Collège cardinalice, dans lequel les moins de 80 ans (132 aujourd’hui) éliront le prochain pape, choisi selon toute probabilité parmi eux, ne s’étaient pas retrouvés ainsi depuis les toutes premières années du pontificat, commencé le 13 mars 2013.
Entre-temps, Jorge Mario Bergoglio, 85 ans, a mené à bien une bonne partie des projets qu’il avait présentés dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, sa feuille de route à la tête de l’Eglise. Alors que la fin de son pontificat se profile, accompagnée par des problèmes de santé, les cardinaux ont aujourd’hui en main les grandes lignes de son legs.
Le 19 mars 2022, le pape François publiait la nouvelle Constitution préparée depuis 2013 et entrée en vigueur en juin. Concrètement, c’est à son application que les cardinaux devaient réfléchir. Ce texte réorganise en profondeur le fonctionnement de la curie romaine et son rôle face aux Eglises locales, c’est-à-dire aux évêques du monde entier. Elle vient parachever les réorganisations décidées au fil des années pour rendre son administration plus transparente financièrement, plus efficace, et en faire un soutien plutôt qu’un gendarme des diocèses.
Cet assainissement était la première exigence formulée il y a neuf ans par les cardinaux qui ont élu François. De ce point de vue, il laissera un instrument réformé en profondeur, auquel, avec son propre prisme, il a ajouté un contrôle renforcé du pontife sur son administration. Encore faut-il s’assurer que les pesanteurs et les habitudes de travail très anciennes ne viennent pas enliser l’élan de la réforme, comme le prédisent certains. C’est cette assurance que François attend peut-être de ses cardinaux.
De même que la curie est priée de venir en soutien aux évêques du monde et de valoriser leur expertise, l’Eglise « de terrain » est redéployée en vue de dynamiser l’évangélisation. François a favorisé, dans les nominations de cardinaux, les prélats d’Asie et d’Afrique, des continents de croissance pour l’Eglise catholique. Parallèlement, l’Europe, où la pratique continue de s’effondrer, voit sa représentation chuter : les cardinaux européens sont passés de 52 % à 40 % en neuf ans.
Voilà pour la réforme. Car, sur d’autres aspects, et non des moindres, François aura fermé davantage de portes qu’il n’en aura ouvertes. Dans la réunion de lundi et mardi, chargée d’envisager l’avenir, beaucoup de robes, mais pas une femme. Certes, le pape jésuite en a nommé quelques-unes à des postes de responsabilité dans la curie, mais aucune n’a accédé encore à la tête d’un dicastère (service), comme le permet pourtant la nouvelle Constitution. Sans même parler de l’ordination des femmes, catégoriquement écartée par François, la réflexion sur leur ordination diaconale a été soigneusement enterrée.
De même, l’ouverture de l’ordination aux hommes mariés, réclamée par certains évêques confrontés au manque de prêtres, n’a pas été retenue. La place des laïcs dans le système de pouvoir de l’Eglise demeure elle aussi une question sans réponse substantielle. Le cléricalisme est combattu en parole, mais ses fondements demeurent inchangés. Reste la lutte contre les violences sexuelles. Des textes ont clarifié les responsabilités et les procédures canoniques. Mais, dans la majorité des pays, il n’y a encore ni état des lieux ni prévention véritable.